Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/389

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— Eh bien, je m’en vais, dit-il tout à coup, se disposant à traverser de nouveau la chaussée ; — toi, continue à marcher de ce côté-ci. Il faut que chacun de nous fasse route à part… cela vaut mieux pour nous… tu verras.

Lorsque enfin, débouchant chacun d’un trottoir différent, ils entrèrent dans la rue aux Pois et commencèrent à approcher de la maison de Rogojine, le prince sentit de nouveau ses jambes fléchir à un tel point que la marche lui devint difficile. Il était alors environ dix heures du soir. Comme tantôt, les fenêtres étaient ouvertes dans l’appartement de la vieille ; chez Rogojine elles étaient fermées, et leurs stores baissés paraissaient plus blancs encore au milieu des ténèbres. Muichkine quitta son trottoir et s’avança vers la maison dont il était séparé par la largeur de la rue. Rogojine monta le perron et invita du geste son ami à en faire autant. Le prince le rejoignit.

— Le dvornik ignore maintenant que je suis rentré à la maison. Tantôt, en sortant, j’ai déclaré que j’allais à Pavlovsk, et j’ai dit la même chose chez ma mère, fit à voix basse Parfène Séménitch, qui souriait d’un air malin et presque content ; — nous allons entrer sans que personne nous entende.

Déjà il avait sa clef dans les mains. En montant l’escalier, il se retourna vers son compagnon et lui fit signe de marcher plus doucement. Après avoir ouvert sans bruit la porte de son appartement, il y fit entrer le prince, se glissa avec précaution derrière lui, referma la porte et mit la clef dans sa poche.

— Viens, proféra-t-il d’un ton bas.

Il avait commencé à chuchoter ainsi depuis le moment où il avait abordé le prince sur le trottoir de la Litéinaïa. Malgré son calme apparent, il était, au fond, très-agité. Quand ils furent entrés dans la salle qui précédait le cabinet, il s’approcha d’une fenêtre et mystérieusement attira le prince auprès de lui.

— Vois-tu, quand tu as sonné chez moi tantôt, j’étais ici et j’ai tout de suite deviné que c’était toi ; je suis allé tout