Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/39

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constances les plus simples de la vie, elle savait toujours découvrir quelque chose qui l’effrayait parfois au point de la rendre malade. Qu’on juge de ce qu’elle dut éprouver quand au milieu de toutes ses inquiétudes chimériques, elle vit soudain se produire un incident qui avait une gravité réelle et valait la peine qu’on s’en préoccupât sérieusement !

« Et comment a-t-on osé, comment a-t-on osé m’écrire cette maudite lettre anonyme où l’on me dit que cette créature est en relation avec Aglaé ? » pensait la générale tout le long de la route, tandis qu’elle entraînait le prince à sa suite. Lorsqu’elle fut arrivée chez elle et qu’elle eut fait asseoir Muichkine devant la table ronde autour de laquelle était réunie toute la famille, Élisabeth Prokofievna retomba dans ses réflexions : « Comment a-t-on même osé penser à cela ? Mais je mourrais de honte si j’en croyais un traître mot ou si je montrais cette lettre à Aglaé ! Comme on se moque de nous, des Épantchine ! Et Ivan Fédorovitch est la cause de tout, de tout ! À vous la responsabilité de tout cela, Ivan Fédorovitch ! Ah ! pourquoi ne nous sommes-nous pas plutôt transportés à Élaguine ? J’avais proposé d’y aller ! C’est peut-être Varka qui a écrit la lettre, je m’en doute, ou peut-être… tout cela, c’est la faute d’Ivan Fédorovitch ! Cette créature a imaginé cela pour se moquer de lui ; en souvenir d’une ancienne liaison, elle a voulu le tourner en ridicule, tout comme elle l’avait déjà bafoué quand il lui a offert des perles… Mais, au bout du compte, nous sommes mêlées à cette affaire, vos filles y sont mêlées, Ivan Fédorovitch, des demoiselles de la meilleure société, des jeunes personnes à marier ; elles se trouvaient là, elles sont restées là, elles ont tout entendu ; elles ont été mêlées de même à l’histoire avec les gamins, réjouissez-vous, elles étaient là aussi et elles ont tout entendu ! Je ne pardonne pas à ce petit prince, jamais je ne lui pardonnerai ! Et pourquoi depuis trois jours Aglaé a-t-elle les nerfs agités ? Pourquoi s’est-elle presque brouillée avec ses sœurs, même avec Alexandra à qui elle baisait toujours les mains comme à sa mère, tant elle la respectait ?