Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/57

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Il est reçu d’aller entendre la musique. L’orchestre tient peut-être le premier rang parmi tous ceux de ce genre, et il joue des choses nouvelles. Les lois du décorum sont strictement observées, bien qu’on soit là un peu comme en famille. Parmi les gens en villégiature à Pavlovsk, beaucoup vont au Waux-Hall pour y rencontrer leurs connaissances, il en est toutefois qui n’y sont attirés que par la musique. Les scandales sont extrêmement rares, quoiqu’il s’en produise pourtant, même pendant la semaine. Mais il est impossible d’empêcher cela.

Cette fois, la soirée était charmante, et il y avait assez de monde. Toutes les places autour de l’orchestre étant occupées, notre société s’assit un peu à l’écart, à gauche, tout près d’une sortie. La foule, la musique procurèrent quelque distraction à Élisabeth Prokofievna et à ses filles : elles échangeaient des coups d’œil avec diverses personnes de leur connaissance, ou leur adressaient de loin des saluts aimables ; elles examinaient les toilettes, notaient certaines étrangetés et s’en entretenaient avec un sourire moqueur. Eugène Pavlovitch saluait aussi très-souvent. Plusieurs remarquèrent Aglaé et le prince qui étaient encore ensemble. Bientôt les dames Épantchine virent s’approcher d’elles quelques jeunes gens qu’elles connaissaient ; deux ou trois restèrent pour faire un bout de conversation ; tous étaient des amis d’Eugène Pavlovitch. Parmi eux se trouvait un jeune officier très-bien de sa personne, très-gai, très-causeur ; il s’empressa d’adresser la parole à Aglaé et ne négligea rien pour captiver l’attention de la jeune fille, qui lui donna la réplique avec beaucoup d’amabilité et d’enjouement. Eugène Pavlovitch demanda au prince la permission de lui présenter cet ami ; Muichkine comprit à peine ce qu’on lui voulait, néanmoins la présentation eut lieu ; les deux hommes se saluèrent et se tendirent la main. L’ami de Radomsky fit une question au prince, mais ce dernier n’y répondit pas ou mâchonna quelques mots d’une façon si étrange que l’officier l’examina fort attentivement ; il regarda ensuite Eugène Pavlovitch et comprit aussitôt pourquoi celui-ci avait ima-