Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/83

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croiras qu’elle me préfère à toi. Vois-tu, c’est de la jalousie. Seulement, voici l’opinion à laquelle je suis arrivé dans ces huit jours, Parfène, je vais te la dire : sais-tu que maintenant elle t’aime peut-être plus que personne ? Je dirai même que plus elle te tourmente, plus elle t’aime. Elle ne te le dit pas, mais il faut savoir le deviner. Pourquoi, au bout du compte, veut-elle t’épouser ? Un jour elle te le dira à toi-même. Il y a des femmes qui veulent être aimées ainsi, et elle est justement de ce nombre ! Ton caractère et ton amour doivent l’impressionner ! Sais-tu qu’une femme est capable de tourmenter cruellement un homme, de lui décocher les plus amers sarcasmes, sans éprouver un seul remords de conscience, parce que chaque fois elle se dit à part soi en vous regardant : « À présent je lui fais souffrir mort et passion, mais en revanche, plus tard, je le dédommagerai par mon amour… »

Après avoir écouté le prince jusqu’au bout, Rogojine se mit à rire.

— Mais quoi, prince, est-ce que toi-même tu n’en aurais pas rencontré une pareille ? J’ai entendu parler de quelque chose, serait-ce vrai ?

— Quoi ? Que peux-tu avoir entendu dire ? reprit soudain Muichkine qui s’arrêta troublé et frissonnant.

Rogojine continuait à rire. Il avait écouté son interlocuteur avec une certaine curiosité qui même n’était peut-être pas exempte de satisfaction ; ç’avait été une surprise et un réconfort pour lui d’entendre la parole chaude, joyeuse, entraînante de Muichkine.

— Ce n’est pas que j’aie appris grand’chose, mais je vois maintenant moi-même que c’était la vérité, ajouta-t-il ; — eh bien, quand as-tu jamais parlé comme tu viens de le faire ? Voilà un langage qui ne te ressemble pas ! Si je n’avais pas entendu dire quelque chose de pareil sur ton compte, je ne serais pas venu ici et je ne me trouverais pas dans le parc à minuit.

— Je ne te comprends pas du tout, Parfène Séménitch.

— Depuis longtemps déjà elle m’a donné des éclaircisse-