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le joueur

et les yeux au plafond, elle fut profondément étonnée. Alors, cherchant l’explication de mon indifférence, elle l’attribua à la bêtise naturelle d’un outchitel, et elle cessa ses explications, pensant qu’elle chercherait vainement à me faire comprendre des choses qui dépassaient mon intelligence. Et elle me quittait, pour revenir dix minutes après.

Ces scènes demi-muettes commencèrent quand elle changea son attelage contre un plus beau qui coûtait seize mille francs.

— Eh bien ! bibi, tu ne te fâches donc pas ?

— Non ; tu m’ennuies ! disais-je en appuyant sur chaque syllabe.

Mais cela lui parut si curieux qu’elle s’assit auprès de moi.

— Vois-tu, ce qui m’a décidée, c’est que c’est une occasion. On peut revendre l’attelage pour vingt mille francs.

— Je te crois, je te crois. Les chevaux sont admirables ; ça te fait une très jolie sortie. Et puis, assez là-dessus !

— Alors, tu ne te fâches pas ?

— Et pourquoi me fâcherais-je ? Tu fais très bien de te pourvoir des choses qui te sont nécessaires. Tout cela te servira plus tard. Il faut que tu aies l’air de dépenser les rentes d’un million pour pouvoir en gagner le capital. Nos cent mille francs ne sont que le commencement, une goutte dans la mer.

Blanche ne s’attendait pas à de tels raisonnements. Elle tombait des nues.

— Comment ! c’est toi qui me dis ça ? Mais tu as donc de l’esprit ! Sais-tu, mon garçon ? tu n’es qu’un outchitel, mais tu aurais dû naître prince. Tu ne regrettes donc pas que l’argent ait été si vite dépensé ?

— Ah ! qu’il s’en aille plus vite encore !

— Mais… sais-tu ?… mais, dis donc, tu es donc riche ?