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le joueur

Je me rappelle seulement que Blanche ne s’appelait pas du tout de Comminges, que sa mère n’était pas du tout veuve Comminges. Son vrai nom était du Placet. Pourquoi de Comminges et pas du Placet ? Je l’ignore encore. Quant au général, cette révélation le combla de joie, et du Placet lui parut infiniment plus joli que de Comminges. Dans la matinée du jour du mariage, déjà tout habillé, il se promenait devant la cheminée du salon en se répétant : Mlle Blanche du Placet ! À l’église, à la mairie, chez lui, ce n’était plus du bonheur qui éclatait sur son visage, c’était de l’orgueil. Tous deux semblaient transformés. Blanche avait aussi une dignité toute particulière.

— Il faut que je me compose un maintien tout nouveau, me disait-elle très sérieusement. Mais, vois-tu, je ne peux pas encore prononcer correctement mon nom, le nom de mon mari : Zagoriansky Zagoriansky. Mme la générale de Zago… Zago… Diable de nom russe ! Enfin, madame la générale a quatorze consonnes ! Comme c’est agréable, n’est-ce pas ?

Enfin, nous nous séparâmes, et Blanche, cette stupide Blanche, avait presque les larmes aux yeux en me faisant ses adieux.

— Tu as été bon enfant, me disait-elle en pleurant. Je te croyais bête, et tu en avais l’air, mais ça te va.

Et, en me serrant une dernière fois la main, elle s’écria : « Attends ! » Elle courut dans son boudoir, et, un instant après, elle m’apporta deux billets de mille francs. Je ne l’aurais pas crue capable de cela.

— Ça te servira. Tu es peut-être un très savant outchitel, mais tu es si bête ! Je ne veux pas te donner davantage, tu jouerais… Adieu ! nous serons toujours bons amis, et si tu gagnes de nouveau, viens chez moi, et tu seras heureux.

Il me restait encore cinq cents francs, une magnifique montre de mille francs, des boutons de chemise en dia-