Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/115

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aussitôt que j’étais arrivé. Dans la pièce voisine, à deux tables différentes, dînaient deux clients sombres, silencieux, et d’une apparence peu aimable. Dans une des pièces éloignées, on faisait du tapage ; on criait même. On entendait les éclats de rire d’une troupe de gens ; de viles exclamations françaises retentissaient ; il y avait des dames. En un mot, cela soulevait le cœur. J avais rarement passé un moment aussi pénible, et quand, à six heures précises, ils parurent tous à la fois, au premier instant, je fus content et les regardai comme mes libérateurs. J’oubliai presque que je devais avoir l’air offensé.

Zverkov entra le premier, comme s’il était le président. Lui et les autres riaient ; mais en m’apercevant, Zverkov se redressa, s’approcha sans lutte, en se courbant un peu, comme, s’il faisait des grâces, me donna la main amicalement, mais pas trop, avec une politesse prudente, une politesse de général. Je m’étais imaginé, au contraire, qu’aussitôt entré il éclaterait de son rire d’autrefois, de son rire flûté et criard, et qu’il nous servirait dès les premiers mots ses plaisanteries et ses railleries. Je m’y étais préparé dès la veille, mais je ne m’attendais pas à une grâce aussi hautaine, aussi superbe. Il se croyait donc infiniment supérieur à moi à tous égards ? S’il avait voulu seulement m’offenser en faisant le général, ce ne serait rien encore, pensai-je ; j’aurais eu en-