Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/125

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je partisse, messieurs. Pour rien au monde. Je resterai exprès et je boirai jusqu’au bout, afin de montrer que je n’y ajoute aucune importance. Je resterai et je boirai, parce qu’ici c’est une hôtellerie, et j’ai payé l’entrée. Je resterai et je boirai parce que je vous regarde comme des imbéciles, qui n’existent même pas pour moi. Je resterai et je boirai… et je chanterai, si je veux ; oui, monsieur, et je chanterai, parce que j’en ai le droit… de chanter… hm. »

Mais je ne chantai pas. Je faisais mon possible pour ne regarder personne ; je prenais des attitudes indépendantes et j’attendais avec impatience qu’ils m’adressassent la parole les premiers. Mais hélas ! ils ne me parlèrent pas. Oh ! comme j’aurais voulu, comme j’aurais voulu me réconcilier avec eux à cet instant ! Huit heures sonnèrent, puis neuf heures. Ils quittèrent la table et se placèrent auprès du canapé. Zverkov s’étendit sur le canapé, un pied sur le guéridon. On y porta le vin. Il leur avait en effet fait apporter trois bouteilles. On ne m’invita pas, bien entendu. Tous l’entourèrent. On l’écoutait avec presque de la vénération. Il était évident qu’on l’aimait. « Pourquoi ? Pourquoi ? » pensais-je. Quelquefois ils s’extasiaient dans leur ivresse et échangeaient des accolades. Ils parlaient du Caucase, de ce qu’est la vraie passion, des emplois avantageux, des revenus du hussard Podkhargevski, que personne ne connaissait, et se ré-