Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/134

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des coups sur la tête et eux tous par derrière. Je crierai aux assistants : « Voyez donc, voilà un jeune chien qui va séduire les Circassiennes avec mon crachat sur son visage ! »

Naturellement, après cela tout était fini ! Le bureau disparaissait de la surface terrestre. On me saisissait, on méjugeait, on me faisait perdre mon emploi, on me mettait en prison, ou bien on m’exilait en Sibérie, forcé de devenir colon. Que voulez-vous ? Dans quinze ans, mendiant, en guenilles, j’irai à sa recherche quand on m’aura rendu la liberté. Je le trouverai quelque part, dans quelque ville de province. Il sera marié et heureux. Il aura une grande fille… Je lui dirai : « Vois donc, monstre mes joues creuses et mes loques ! J’ai tout perdu : la carrière, le bonheur, l’art, la science, la femme que j’aimais, tout cela par ta faute. Voici des pistolets. Je suis venu décharger mon pistolet et… et je te pardonne. Je vais tirer en l’air et tu n’entendras plus parler de moi… »

Je commençai à pleurer, cependant je savais bien, à l’instant même, que tout cela était tiré de Silvio ou de la Mascarade de Lermontov. Et soudain, j’eus honte, tellement honte, que j’arrêtai le cheval, sortis du traîneau et m’enfonçai dans la neige au milieu de la rue. Le cocher me regardait avec stupéfaction et soupirait.

Que faire ? N’y pas aller, ce n’était donc qu’une blague, et je ne pouvais laisser l’affaire, parce