Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/157

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est donc, en réalité, t’aime-t-il, cet amant ? Je ne le crois pas. Comment t’aimerait-il, quand il sait que l’on va t’appeler d’un instant à l’autre. C’est un lâche, qui peut supporter cela. Te respecte-t-il le moins du monde ? Qu’as-tu de commun avec lui ? Il se moque de toi, il te gruge ; voilà tout son amour ! Bien joli quand il ne te bat pas. Peut-être aussi te bat-il. Demande-lui donc, si tu as un amant, s’il t’épouserait ? Il te rira au nez, s’il ne te crache à la figure et ne te roue de coups, — alors que lui-même ne vaut peut-être pas un sou percé. Et quand on pense à cause de quoi tu as perdu ta vie ! Parce qu’ici on te donne du café, et que tu manges à ta faim ? Et dans quel but te nourrit-on ? Une autre, une honnête fille, se serait étouffée avec une bouchée pareille, parce qu’elle saurait dans quel but on la nourrit. Tu es endettée ici, et tu le seras toujours, jusqu’à la fin, jusqu’à ce que les visiteurs finissent par être dégoûtés de toi. Cela viendra bientôt ; ne compte pas sur ta jeunesse. Ici cela va vite. On te mettra dehors. Mais on ne te chassera pas tout simplement, on commencera bien avant à te chercher chicane, à te faire des reproches, à te gronder, comme si tu ne lui avais pas donné ta jeunesse, ta santé et perdu ton âme à cause d’elle, la tenancière, mais comme si tu l’avais ruinée, dépouillée, volée. N’attends aucun soutien : tes compagnes t’accableront aussi, pour la flatter, car ici toutes sont dans la servitude ; elles ont perdu