Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la conscience et la pitié. Elles sont devenues lâches et il n’y a pas sur la terre d’insultes plus viles, plus ignominieuses et plus offensantes que celles-là. Tu laisseras ici sans retour : la santé, la jeunesse, la beauté, l’espérance, et à vingt-deux ans tu auras l’air d’en avoir trente-cinq, et ce sera encore bien beau si tu n’es pas malade. Prie Dieu qu’il en soit ainsi. Tu te figures maintenant, peut-être. que tu n’auras jamais rien à faire, que la noce ! Mais c’est le travail le plus pénible et le plus révoltant qui existe. On voudrait noyer son cœur dans les larmes. Et tu n’oseras pas dire une parole, quand on te chassera d’ici, tu t’en iras comme une coupable. Tu passeras dans un autre endroit, puis dans un troisième, jusqu’à ce que tu arrives enfin à la Sennaïa. Et dès que tu seras arrivée là, on te battra ; c’est la galanterie de là-bas ; un visiteur ne saurait te caresser, sans t’avoir battue. Tu ne veux pas le croire, que cela soit si écœurant. Vas-y, regarde, un jour, tu le verras peut-être bien toi-même. J’en ai vu une, une fois, au jour de l’an, à la porte. On l’avait mise à la porte, manière de plaisanter, pour la faire geler un peu, parce qu’elle avait crié trop fort ; et on avait fermé la porte sur elle. A neuf heures du matin, elle était tout à fait ivre, échevelée, demi-nue, rouée de coups. Elle était maquillée de blanc, et les yeux meurtris ; le sang lui coulait du nez et des dents : un cocher de fiacre venait de l’arranger ainsi.