Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/175

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n’était pas complètement asservie, qu’elle avait certains droits ; alors, hum ! Que le diable l’emporte, elle viendra, elle viendra certainement. » C’était encore bien qu’à ce moment, Apollon me distrayait par ses grossièretés. Il me faisait perdre complètement patience. C’était ma plaie, c’était un fléau envoyé par la Providence. Nous étions en pique depuis plusieurs années et je le détestais. Dieu, que je le détestais ! Il me semble que je n’ai jamais détesté personne autant que lui, surtout à certains moments. C’était un homme âgé, grave, travaillant vaguement à son métier de tailleur. Je ne sais pas pourquoi il me méprisait au-dessus de toute mesure et me regardait du haut de sa grandeur. Il regardait d’ailleurs tout le monde avec supériorité. Envoyant cette tête blanche, peignée très lisse, cette coque qu’il se fabriquait sur le front et qu’il pommadait à l’huile, cette bouche fermée, toujours en cul de poule, vous sentiez que devant vous se trouvait un être qui ne doutait jamais de soi. Il était pédant au plus haut degré et le plus grand pédant que j’aie jamais connu sur la terre, et doué en plus d’un amour-propre qui conviendrait à peine à Alexandre de Macédoine. Il était amoureux de chacun de ses boutons d’habits ; de chacun de ses ongles, — absolument amoureux, il en avait l’air ! Il s’adressait à moi tout à fait despotiquement, me parlait très peu, et s’il lui arrivait de me regarder, c’était avec un air de supériorité