Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que d’habitude, et il m’était difficile de respirer.

Au bout de quelques secondes, elle ne se relevait toujours pas, comme si elle était plongée dans l’oubli. J’eus la malhonnêteté de frapper doucement au paravent, pour lui rappeler… Elle sursauta, se releva et se mit à chercher son fichu, son chapeau, sa fourrure… Deux minutes après, elle sortit lentement de derrière le paravent et me regarda tristement. Je ricanai méchamment ; d ailleurs, je me forçais à le faire, par « convenance », et j’évitai son regard.

— Adieu, dit-elle, se dirigeant vers la porte. Soudain, je courus sur ses pas ; je saisis sa main, je l’ouvris, j’y plaçai… et la refermai. Ensuite je me détournai brusquement et me précipitai dans un autre coin, pour ne pas voir, au moins…

J’allais tout à l’heure mentir, écrire que je le lis par hasard, par oubli, éperdu, par sottise. Mais je ne veux pas mentir et je le dis franchement : j’ouvris sa main et j’y mis… par méchanceté. Cette idée me vint en allant et venant dans la chambre, pendant qu’elle se trouvait derrière le paravent. Mais voilà ce que je puis dire sûrement ; Je commis cette cruauté, de mon propre gré sans doute, mais non par mauvais cœur, seulement à cause de ma mauvaise tête. C’était une cruauté feinte, intellectuelle, composée exprès, d’après les livres, si bien que moi-même n’y résistai pas même une minute. D’abord je me précipitai dans un coin, pour ne pas