Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/222

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toute l’histoire. Cependant, je lui en fis le récit détaillé. Je m’exprimais d’un ton ému, car j’accomplissais là mon sacerdoce d’ami véritable. Il m’écouta sans étonnement, mais avec des signes manifestes de méfiance.

— Croiriez-vous, me dit-il quand j’eus fini de parler, croiriez-vous que j’avais toujours prévu qu’un pareil accident arriverait à Ivan Matveïtch ?

— Comment cela, Timotheï Semionitch ? Il me semble pourtant que le cas est fort extraordinaire…

— D’accord, mais est-ce que toute la carrière d’Ivan Matveïch ne tendait pas vers un tel résultat ? Il était d’une hardiesse qui frisait l’insolence. Il n’avait que le progrès à la bouche, ainsi qu’un tas d’idées… Voilà où ça nous mène, le progrès ! — Mais il me semble que cet accident tout à fait fortuit ne saurait être érigé en règle générale pour tous les progressistes…

— Que vous le vouliez ou non, c’est ainsi. Croyez-moi. Tout cela n’est que la conséquence d’une instruction exagérée. Les gens qui en savent trop se fourrent partout, même où on ne les demande pas. Au surplus, — ajouta-t-il, comme offensé, — il se peut que vous soyez mieux renseigné que moi là-dessus. Je ne suis pas aussi instruit que cela, moi, et je suis vieux. C’est comme fils de soldat que j’entrai au service il y a de cela cinquante ans.