Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dire que je suis un homme fort sensé et que vous n’êtes que des sots. Si l’on ne mérite pas d’être nommé colonel alors qu’on peut exhiber un crocodile qui contient un conseiller de la cour tout vivant !… Faites-moi donc voir le Russe qui pourrait vous montrer un crocodile contenant un conseiller de la cour tout vivant. Je suis un homme fort remarquable et je ne vois pas pourquoi on ne me nommerait pas colonel.

— Adieu donc, Ivan Matveïch ! m’écriai-je, tremblant de fureur, et je m’en fus presque en courant. Une minute de plus et je n’eusse plus répondu de moi. L’extravagante ambition de ces deux imbéciles était intolérable. La fraîcheur de l’air calma quelque peu mon indignation. Enfin, ayant craché une quinzaine de fois de gauche et de droite je hélai un fiacre, me fis conduire chez moi, me déshabillai et me jetai dans mon lit.

Ce qui m’exaspérait par dessus tout, c’était d’être devenu le secrétaire d’Ivan Matveïtch. Alors, désormais, pour remplir mes devoirs d’ami véritable, il allait me falloir m’abrutir tous les soirs !

J’avais envie de battre quelqu’un et, d’ailleurs, une fois ma bougie éteinte, je m’appliquai quelques coups de poing sur la tête et sur diverses parties du corps. Cela me soulagea quelque peu et je finis par m’endormir fort profondément, car j’étais brisé. Je passai ma nuit à rêver de singes, mais, vers le matin, je rêvai d’Elena Ivanovna.