Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/294

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nette fut celle de cette pauvre femme dont il avait déjà plusieurs fois rêvé au cours de sa maladie et qu’il revoyait telle qu’elle était, en chaussures d’écorce, un bâton à la main et toute déguenillée, avec un sac tressé sur le dos. Elle braillait plus fort que les pompiers et que la foule ensemble, brandissait sa béquille et gesticulait en disant que ses propres enfants l’avaient chassée et que, du coup, elle avait perdu ses deux pièces de cinq copecs. « Les enfants… les pièces… les pièces… les enfants… » elle ne cessait d’entremêler ces paroles dans un galimatias incompréhensible et tout le monde avait fini par la laisser là en désespoir de s’y reconnaître. Mais la vieille ne se calmait pas ; elle criait, hurlait, gesticulait, n’accordant aucune attention à l’incendie, ni à la foule, ni au malheur d’autrui, pas plus qu’aux étincelles et aux flammèches qui venaient tomber jusque-là.

Finalement, M. Prokhartchine sentait la peur le gagner, car il voyait clairement que tout cela n’était pas si simple et ne se passerait pas comme ça. En effet, tout près de lui, enveloppé d’une pelisse déchirée, un paysan montait sur une pile de bois et, les cheveux et la barbe roussis, il se mettait à ameuter la foule contre Sémione Ivanovitch. Et la foule continuait à s’épaissir et le paysan de vociférer et, pétrifié de terreur, monsieur Prokhartchine se remémorait tout à coup que ce paysan n’était autre qu’un certain cocher de fiacre