Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/307

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qu’est-ce qu’il a ? Espèce d’idiot que vous êtes ! Et quand vous n’auriez ni feu ni lieu ? Est-ce que le monde n’est fait que pour vous ? Seriez-vous un Napoléon, quoi ? Qu’est-ce que vous êtes ? Êtes-vous Napoléon ? Êtes-vous Napoléon, oui ou non ? Mais répondez donc un peu, monsieur, si vous êtes Napoléon ?

Mais M. Prokhartchine ne répondit pas. Non que cette idée d’être un Napoléon l’emplit de confusion ni qu’il redoutât d’assumer une pareille responsabilité, mais il se trouvait hors d’état de discuter, de dire quoi que ce fût de raisonnable… Une crise s’ensuivit. Un flot de larmes jaillit de ses pauvres veux gris brûlés par la lièvre ; il se cacha le visage de ses mains amaigries et osseuses et se mit à parler à travers ses sanglots, — gémissant qu’il était si pauvre, si malheureux, si simple, si sot, si ignorant qu’on devait avoir la bonté de lui pardonner, de le soigner, de le défendre, de lui donner à manger et à boire, de ne pas l’abandonner… Dieu sait ce qu’il ne dit pas. Tout en se lamentant, il jetait autour de lui des regards terrifiés comme s’il se fût attendu à ce que le plafond s’effondrât, à ce que le planche s’enfonçât. Chacun le plaignait, les cœurs s’amollissaient de plus en plus. Toute sanglotante, la logeuse recoucha elle-même le malade. Enfin pénétré de l’inutilité de ses attaques contre la mémoire de Napoléon, Marc Ivanovitch reprit ses bonnes dispositions et accorda