Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/60

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Admettons que cela soit une loi de la logique ; en est-ce une pour l’humanité ? Vous croyez, peut-être, Messieurs, que je déraisonne ? Permettez-moi de me justifier. Je suis d’accord : l’homme est un animal, pour la plupart créateur, qui est forcé de tendre vers un but en toute conscience, et de faire acte d’ingénieur, c’est-à-dire de se frayer un chemin éternellement et sans cesse, dans n’importe quelle direction. Mais voilà justement, à ce propos, peut-être, a-t-il quelquefois envie de s’écarter, parce qu’il est forcé de se frayer une route ; et encore, parce que si bête que soit en général l’homme d’action « sortant de l’ordinaire », il lui vient quelquefois à l’esprit que la route aboutit toujours quelque part ; que le principal n’est pas de savoir où elle va, mais seulement de la faire aller, et que l’enfant sage n’abandonne pas le métier d’ingénieur et ne se livre pas à la pernicieuse oisiveté, qui est, comme on sait, la mère de tous les vices. L’homme aime à édifier et à tracer des routes, cela est indiscutable. Mais aussi pourquoi aime-t-il à la folie la destruction et le chaos ? Dites-le donc ! A ce propos, j’ai envie de dire deux mots à part. S’il aime la destruction et le chaos (il est indiscutable qu’il les aime parfois même beaucoup ; cela est ainsi), c’est peut-être parce qu’il a une peur instinctive d’arriver au but et de terminer l’édifice ? Peut-être n’aime-t-il l’édifice que de loin, mais pas du tout de près ; peut-être n’aime-t-il qu’à le construire, mais ne vou-