Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/97

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ses deux filles et leur tante, qui servait le thé. L’une des filles avait treize ans, l’autre quatorze. Toutes les deux avaient le nez retroussé et m’intimidaient affreusement, parce qu’elles se parlaient à voix basse et qu’elles riaient. Le maître de la maison était habituellement dans son cabinet, assis sur un canapé recouvert de moleskine, devant une table ; un visiteur quelconque, à tête blanche, employé dans notre administration ou dans une autre, se trouvait là. Je n’y ai jamais vu plus de deux ou trois visiteurs, toujours les mêmes. On parlait de la régie, des adjudications du Sénat, des traitements, des avancements, de son Excellence, du moyen de lui plaire etc., etc. J’avais la patience de rester auprès de ces personnes comme un imbécile, et de les écouter, sans savoir, ni oser, entamer une conversation avec eux. Je devenais stupide, je suais à plusieurs reprises, j’étais menacé de paralysie ; mais cela était bon et utile. Rentré chez moi, je remettais à quelque temps mon désir d’embrasser l’humanité entière.

J’avais cependant une autre connaissance : Simonov, mon camarade de collège. J’en avais encore beaucoup, à Saint-Péterbourg, de camarades de collège, mais je ne frayais pas avec eux et j’avais cessé de les saluer dans la rue. J’aurais peut-être changé d’administration, afin de ne pas me trouver avec eux et de rompre complètement avec mon enfance détestable. Maudite soit cette école,