Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentiment hostile s’était-il emparé de nouveau du cœur de maman et avait-il refroidi son premier mouvement.

Mon père sortit ; nous restâmes seules. Je me blottis dans un coin et, longtemps, en silence, je regardai maman. Je ne l’avais jamais vue si émue. Ses lèvres tremblaient ; ses joues pâles subitement s’empourpraient par moments elle tremblait de tous ses membres. Enfin son angoisse finit par s’épandre en des plaintes, des murmures, des sanglots.

— « Oui, c’est moi, c’est moi qui suis coupable de tout. Malheureuse ! » disait-elle. « Qu’adviendra-t-il d’elle ? Que deviendra-t-elle quand je serai morte ? » Elle s’arrêta au milieu de la chambre comme frappée de la foudre à cette sombre pensée. « Niétotchka, mon enfant, ma pauvre chérie, malheureuse enfant ! dit-elle en me prenant par les mains et m’embrassant. Que deviendras-tu quand moi-même je ne puis t’éduquer, te soigner ? Ah ! tu ne me comprends pas. Comprends-tu, te rappelleras-tu ce que je te dis maintenant ? Niétotchka, te souviendras-tu ?

— « Oui, oui, maman », dis-je en joignant les mains.

Longtemps elle me tint fortement serrée dans ses bras, comme si elle avait peur à l’idée de se séparer de moi. Mon cœur se déchirait.

— « Petite mère, maman ! dis-je en sanglotant, pourquoi… pourquoi n’aimes-tu pas papa ? »

Les sanglots m’empêchèrent d’achever… Un cri s’échappa de sa poitrine. Ensuite, de nouveau, terriblement angoissée, elle se mit à marcher dans la chambre.

— « Ma pauvre, ma pauvre petite ! Je n’avais même pas remarqué qu’elle grandissait ! Elle sait, elle sait tout ! Mon Dieu ! quelle impression, quel exemple ! » Et de nouveau elle se tordait les mains désespérément. Ensuite elle s’approcha de moi et m’embrassa avec passion. Elle baisait mes mains, les mouillait de ses larmes et me suppliait de lui pardonner… Jamais je n’ai vu de souffrance pareille… Enfin elle parut se calmer. Toute une heure se passa ainsi. Puis elle se leva, fatiguée, brisée, et me dit de me coucher. J’allai dans mon coin, m’enveloppai dans ma couverture, sans pouvoir m’endormir ; la pensée d’elle et de mon père me tourmentait. Impatiente, j’attendais qu’elle revînt vers moi.

Au souvenir de ce qui s’était passé, l’horreur me saisissait.