Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/100

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le monde d’aller se raconter à tout venant, de se traîner sur la scène et d’y étaler ce qui devrait être le plus intime, ce qu’on devrait justement garder pour soi. Cette façon dont les poètes romantiques se livraient ainsi à la foule, lui paraît justement l’analogue du métier de comédien, pris dans le sens le plus défavorable, du métier d’histrion. C’est ce qu’il indique dans un très beau sonnet, intitulé justement les Montreurs, c’est-à-dire dirigé contre ceux qui se montrent à tout le monde, qui font à n’importe qui les honneurs de leur sensibilité :

Tel qu’un morne animal, meurtri, plein de poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d’été,
Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière :

Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.

Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m’engloutir pour l’éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal.

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal,
Avec tes histrions et tes prostituées.

Voilà, contre la théorie de la poésie personnelle, la déclaration la plus vigoureuse, vous le voyez, qu’on puisse faire. Cependant, il ne faudrait pas adresser à Leconte de Lisle un reproche qu’on lui