Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/102

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allez voir que c’est seulement une admirable description :

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La terre est assoupie en sa robe de feu.

L’étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.

Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.

Je ne crois pas qu’il y ait de tableau qui soit plus évocateur de choses vues. Ce mouvement qui s’éveille, cette ondulation lente dans les blés mûrs et ces bœufs qui bavent avec lenteur, vous voyez qu’ici l’expression, le terme, est aussi réaliste que possible, et il n’a rien de grossier, il n’a rien de bas ; au contraire, la façon dont se termine la strophe éveille chez nous une belle idée : cette idée que l’animal, lui aussi, est pour nous un frère, un frère, à