Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Chassaient les fils d’Énos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : « Non, il est toujours là. »
Alors il dit : « Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit : « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre ;
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

Vous voyez quel est le procédé employé ici par Victor Huo^o : il éclate dans toute sa netteté. Victor Hu^o choisit pour chaque époque l’idée morale que, il lui semble, cette époque a apportée au monde. Ici, il a voulu nous montrer l’idée du remords, la naissance du sentiment de la conscience : et pour nous niontrer cette idée, pour lui donner forme, il tâche d’évo(juer sous nos yeux le décor même de l’époque. C’est ainsi que nous avons, d’époque en époque, une histoire tout à la fois morale et pittoresque de l’humanité.

Après la Conscience, voici Booz endormi, et je ne veux de cette pièce vous citer quelques vers que