Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/110

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parce que je ne crois pas que Victor Hugo jamais ait poussé plus loin l’art de décrire. À la fin de cette pièce de Booz endormi se trouve une vision des nuits orientales, de ces nuits lumineuses, tièdes, qui sont vraiment une merveille :

L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient pans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
Jja respiration de Booz qui dormait,
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse :
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lis sur leurs chemins.
Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaieht le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,
Mobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

Vous voyez quelles ressources Victor Hugo a su mettre au service de cette grande idée : une sorte d’histoire légendaire de l’humanité. C’est ici, c’est dans cette dernière partie de son œuvre, que Victor Hugo réalise le plus complètement son génie. Je vous ai montré l’autre fois que, au point de vue des idées et au point de vue de la sensibi-