Page:Doyle - Du mystérieux au tragique.djvu/70

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— Ah ! monstre ! monstre ! Vous les avez empoisonnés !

— Je les ai sauvés ! Vous ne connaissez pas ces Chinois. Ils sont atroces. Dans une heure, nous tombions tous entre leurs mains. Prenez cela, mon enfant…

Tandis qu’il parlait, une brusque fusillade éclata sous les fenêtres mêmes de la chambre.

— Écoutez : les voilà ! Vite, mon enfant, vite ! Vous pouvez leur échapper encore !

Ses mots ne frappaient plus que des oreilles sourdes : la jeune fille était retombée inanimée sur son siège. Dressé, le vieillard écouta un instant le bruit du feu au dehors. Mais quoi donc ?… Qu’était-ce que cela ?… Devenait-il fou ?… Subissait-il l’effet du toxique ? Sûrement, c’étaient là des acclamations européennes ? Oui… Des ordres brefs retentissaient, en anglais. Il entendait le cri des marins. Il ne pouvait plus douter. Le secours venait enfin, par un miracle.

Il tendit ses longs bras avec désespoir.

— Qu’ai-je fait ? Ah ! qu’ai-je fait, Seigneur ? s’écria-t-il.

Ce fut le commodore Wyndham en personne qui, après une attaque de nuit désespérée et victorieuse, s’élança le premier dans la terrible salle à manger. Un groupe de convives se rangeait, livide et muet, autour de la table. Une jeune fille gémissait et remuait faiblement : pas d’autre signe de vie dans la pièce. Pourtant, il y avait là quelqu’un chez qui assez d’énergie subsistait pour l’accomplissement d’un devoir suprême. Cloué de stupeur sur le seuil, le commodore vit se soulever lentement au-dessus de la table une tête grise, et la longue personne du professeur osciller un instant sur ses jambes.

— Prenez garde au caviar !… Ne touchez pas au caviar !… râla le vieil entomologiste.

Et croulant sur lui-même, il ferma le cercle de la mort.