Un solicitor qui par tempérament et
par goût a besoin d’activité physique
ne peut pas, quand ses affaires l’ont
tenu dans un bureau de dix heures du
matin à cinq heures de l’après-midi, se dispenser de faire, le soir, un peu
d’exercice. J’avais donc l’habitude de
m’offrir de longues promenades nocturnes,
au cours desquelles je cherchais
les hauteurs de Hampstead et de Highgate
pour purifier mes bronches des
miasmes d’Abchurch Lane. Ce fut au
cours d’une de ces flâneries sans but
que je rencontrai pour la première fois
Félix Stanniford, à qui j’allais devoir
la plus extraordinaire aventure de ma
vie. Un soir, vers la fin d’avril ou le
commencement de mai de 1894, je
gagnais l’extrême nord de Londres et
descendais une de ces belles avenues
bordées de hautes villas en brique que la
grande cité pousse toujours plus avant
dans la campagne. Il faisait une claire
nuit de printemps, la lune brillait dans
un ciel sans nuages, et, marchant sans
hâte, regardant, contemplant, j’avais
déjà laissé derrière moi plusieurs milles,
quand mon attention s’arrêta sur l’une
des maisons devant lesquelles je passais.
C’était une très vaste bâtisse, complètement isolée, assez en retrait sur la route. Moderne d’aspect, un peu moins pourtant que ses voisines, toutes peintes à neuf de couleurs vives et dures, elle en rompait l’alignement symétrique par la trouée de sa pelouse, au bout de laquelle, entre des lauriers, elle se dessinait confusément, large, sombre et triste. Asile campagnard de quelque riche marchand, elle datait sans doute du temps où la plus prochaine rue était