Page:Doyle - La Main brune.djvu/63

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actrice, elle n’oubliait pas son métier.

« Me permettez-vous de croire, fit-il d’une voix moqueuse, qu’une bonne conscience est un bon auxiliaire du sommeil ?

— Mensonge ! répliqua-t-elle, car vous dormez le mieux du monde.

— Il n’y a dans ma vie, gronda-t-il, et ses cheveux dressés par la colère le faisaient ressembler à un vieux cacatoès, il n’y a qu’une chose dont j’aie à rougir. Vous savez laquelle. Ce fut de ma part une erreur. Elle portait en elle sa punition.

— Pour moi comme pour vous. Souvenez-vous-en !

— Vous n’avez pas à vous plaindre. Je suis descendu, vous êtes montée.

— Montée !

— Oui, montée. Vous ne nierez pas qu’on monte, je suppose, quand on passe du music-hall à Mannering Hall ! Imbécile que je fus de vous arracher à votre milieu !

— Si vous le pensez, pourquoi me retenir ?

— Parce qu’un tourment caché vaut mieux qu’une honte publique. Parce qu’il est plus facile de supporter les conséquences d’une folie que de la reconnaître. Et aussi parce que je tiens à vous garder sous mes yeux, et à savoir que vous ne pouvez revenir à l’autre.

— Misérable ! misérable lâche !

— Oui, oui, madame, je sais votre ambition secrète. Mais vous ne la réaliserez pas, moi vivant. Et si vous revenez à cet homme après ma mort, j’aurai soin que vous lui reveniez à l’état de mendiante. Vous et votre cher Edouard n’aurez jamais la satisfaction de gaspiller mes économies. Prenez-en votre parti, madame. D’où vient que je trouve grandes ouvertes cette fenêtre et ces persiennes ?

— La nuit était très lourde.

— Vous avez commis une imprudence. Savez-vous qu’il peut y avoir dehors des vagabonds, et que ma collection de médailles n’a pas sa pareille ? Vous aviez également laissé la porte ouverte. Est-ce le moyen d’empêcher qu’on me pille mes vitrines ?

— J’étais là.

— Sans doute. Je vous entendais bouger dans la chambre des médailles, et c’est pourquoi je suis descendu. Que faisiez-vous ?

— Que pouvais-je faire ? Je regardais ces médailles.

— Curiosité nouvelle de votre part. »

Il la regarda d’un air soupçonneux et s’avança vers la seconde salle. Elle le suivit.

Et je constatai à ce moment une chose dont je frémis. J’avais laissé mon couteau ouvert sur l’une des vitrines. Il s’y étalait en pleine vue. Elle l’aperçut la première. Avec une astuce bien féminine, elle tendit son rat de cave, de façon à interposer la lumière entre les yeux de lord Mannering et le couteau ; puis elle saisit le couteau dans sa main gauche et le dissimula contre sa robe. Le vieux, cependant, inspectait tour à tour chaque vitrine ; un instant même, il s’approcha de moi jusqu’à portée de main. Rien n’indiquant qu’on eût touché aux médailles, il repassa, grondant et maugréant, dans la première pièce.

Sitôt repassé dans la première pièce, il posa sa bougie sur un coin d’une des tables, et s’assit, hors de ma vue. Elle allait et venait derrière lui, ainsi que je


nous jetâmes dans le sac une centaine
de médailles. (p. 64.)