Aller au contenu

Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mes premières conclusions étaient tout à fait erronées ; ce qui montre, mon cher Watson, combien il est dangereux de raisonner sur des données insuffisantes. La présence des bohémiens, et l’emploi du mot « bande » par la pauvre fille pour expliquer ce qu’elle vit confusément à la lueur de son allumette, avaient suffi pour me lancer sur une fausse piste. Je n’ai eu qu’un mérite, celui d’avoir changé mes batteries dès qu’il me fut devenu évident que le danger dont pouvait être menacé l’occupant de cette chambre, ne pouvait venir ni par la fenêtre ni par la porte. Mon attention fut rapidement attirée, comme je vous l’ai déjà dit, par la prise d’air et le cordon de sonnette pendu au-dessus du lit. La découverte que ce cordon était faux, et que le lit était scellé au sol me fit instantanément soupçonner que la corde devait servir à un objet qui, passant par le trou, descendait sur le lit. L’idée d’un serpent m’était donc naturellement venue à l’esprit, et lorsque j’y accouplai le fait que le docteur recevait des bêtes de l’Inde, je me sentis sur la bonne piste. L’idée d’employer un poison impossible à découvrir chimiquement devait venir à un homme instruit et sans conscience, qui avait vécu en Extrême-Orient.

« La rapidité avec laquelle ce poison agit était encore un avantage, à son point de vue. Il aurait fallu au coroner un œil bien perçant pour reconnaître les deux petites piqûres produites par les crocs venimeux. Je me souvins aussi du sifflement. Le docteur devait naturellement rappeler le serpent avant que le jour ne le fit voir à sa victime. Il l’avait dressé, probablement au moyen du lait que nous avons vu, à revenir à son appel. Il le faisait passer par la prise d’air, à l’heure qu’il jugeait convenable, certain que l’animal ramperait le long de la corde et descendrait sur le lit. Plusieurs nuits pouvaient se passer sans que la victime fût mordue, mais tôt ou tard elle devait succomber.

« J’étais arrivé à cette conclusion avant même d’entrer dans la chambre du docteur. L’examen de sa chaise nous prouva qu’il avait l’habitude de monter dessus, ce qui était nécessaire pour qu’il pût atteindre à la prise d’air. La vue du coffre-fort, la soucoupe de lait et le nœud coulant faisaient disparaître les derniers doutes qui pouvaient me rester. Le bruit métallique entendu par miss Stoner provenait évidemment de la fermeture hâtive du coffre-fort. Une fois ma conviction faite, vous savez les mesures prises pour acquérir la preuve définitive. Vous avez entendu comme moi siffler le reptile : je fis aussitôt de la lumière, et je l’attaquai sans perdre un instant.

— Ce qui eut pour résultat de le faire repasser par où il était venu.

— Et aussi de le faire attaquer son maître. Quelques-uns de mes coups l’atteignirent certainement et le mirent en colère au point qu’il se jeta sur la première personne qu’il rencontra. Je suis, de la sorte, indirectement responsable de la mort du docteur Grimesby Roylott, mais je ne peux pas dire que cette responsabilité pèse lourdement sur ma conscience. »