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LE CAPITAINE DREYFUS


Que te raconterai-je ? Ma vie journalière, tu la connais ! Je te l’ai décrite jusque dans ses moindres détails. Mes pensées ? elles sont toutes vers toi, vers nos chers enfants, vers nos chères familles.

Encore deux jours à attendre pour te voir et t’embrasser. Comme il est long l’intervalle qui sépare nos entrevues, et comme ces dernières sont courtes ! Je voudrais faire courir le temps quand tu n’es pas là, le faire durer une éternité quand tu es auprès de moi.

Comme tu me donnes du courage pour vivre, ma chérie ; quelle patience je puise dans tes yeux, dans les souvenirs que tu me rappelles, dans mes devoirs vis à vis de nos bons chéris.

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1 heure.

Je reçois à l’instant tes deux chères lettres de mardi. Tu as raison de me parler de nos chéris. Quoique cela m’arrache le cœur chaque fois que je pense à eux, leur gazouillement que tu me répètes réveille cependant en moi d’agréables et de touchants souvenirs. La foi me revient en des jours meilleurs.

Je suis absolument de ton avis quant à l’œuvre que vous poursuivez. Il faut du calme, du temps, de la persévérance pour arriver au but… Je le sais fort bien, j’agirais comme vous si j’étais à votre place, préférant aboutir sûrement plutôt que de tout perdre en agissant sans réflexion… Mais moi, hélas, je suis ici entre quatre murs, inactif, le sang brûlé, et ma façon de voir n’est forcément pas la même que la vôtre.

On m’apprend aussi que deux sœurs viendront me voir à deux heures. Quel bonheur de revoir les siens.

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