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NUMÉRO 3


Lettre inédite de Valentin Haüy.


Chez l’abbé Haüy, membre de l’Académie française, professeur de minéralogie, chevalier de la Légion d’honneur, etc., etc., au Jardin du Roi à Paris, dimanche 28 mai 1820.

Je saisis, mon cher fils bien-aimé, l’occasion du voyage de la respectable madame de Forville en Russie pour mettre sous tes yeux des renseignements relatifs au séjour que tu fais toi-même dans cet empire, et qui pourront t’aider à fixer sur toi l’attention gracieuse du bon empereur Alexandre, à la recommandation de plusieurs seigneurs de sa bienveillante noblesse si, comme je l’espère, madame la princesse de Volkonsky veut bien prêter une oreille attentive à la prière de mademoiselle de Forville dans cette circonstance. Ils te sont déjà connus en partie les renseignements dont je viens de te parler. Lis à cet effet toute cette lettre bien attentivement.

Je vivois du produit de mon cabinet, sous le règne de notre infortuné souverain feu Louis XVI, honoré que j’étois du titre de secrétaire-interprète du roi pour la traduction des langues étrangères et des écritures en caractères illisibles au commun des hommes, etc., etc., voulant en outre employer mes loisirs à quelque objet utile au soulagement et à la consolation de l’infortune (1782, mai 28), un jour où la grande-duchesse de Russie (aujourd’hui l’impératrice-mère) venait de passer sur le boulevard de la place Louis XV, avec le grand-duc, son époux, j’aperçus dans un café dix pauvres aveugles, affublés d’une manière ridicule, ayant des bonnets de papier sur la tête, des lunettes de carton sans verre sur le nez, des parties de musique éclairées devant eux, et jouant fort mal le même air tous à l’unisson. On vendoit à la porte du café une gravure représentant cette scène atroce. Au bas de l’estampe étoient huit vers dans lesquels on se moquoit de ces infortunés. J’achetai cette gravure ; et l’esprit encore frappé des regards bienveillants de la princesse Marie Féodorowna, je conçus le projet de secourir et de consoler les malheureux aveugles (1784). Il me vint dans l’idée d’imprimer des paroles et de la musique en relief sur le papier, pour les mettre à portée d’apprendre chacun sa partie par cœur à l’aide du tact.

Je ne fus pas découragé par le premier obstacle qui se rencon-