Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/127

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J’arrangerai cela avec Lecour. » Lecour était le chef de bureau qui lui succéda à la première division ; c’est le fonctionnaire le plus droit, le plus probe, le plus laborieux que j’aie rencontré dans mes longs voyages d’études à travers les administrations de Paris.

On procéda avec une simplicité qui dérouta les soupçons. Aidé de son secrétaire, nommé Coné, de ses deux garçons de bureau, de Lecour, dont le garçon était l’ancien valet de chambre de Chateaubriand, Mettetal transporta les dossiers, par les couloirs intérieurs de la Préfecture, dans une voiture de déménagement, que l’on avait introduite dans une des petites cours du Palais de Justice. À un officier de la garde nationale qui, par simple curiosité peut-être, demanda : « Qu’est-ce donc que ces liasses de papiers ? » on répondit : « Mais vous savez bien : c’est le service des dossiers qui se fait tous les mois au parquet du Procureur de la République. » L’officier, qui voulut donner bonne opinion de ses connaissances administratives, riposta : « Ah ! parfaitement ; je n’y pensais pas. »

La voiture de déménagement, dans laquelle était monté Mélier, un des garçons de bureau, s’en alla paisiblement à Jouy-en-Josas, où Mettetal possédait une maison de campagne. On enleva les dalles de la cave, dans laquelle on creusa un trou qui reçut les dossiers. On replaça les dalles, on y roula des tonneaux, et l’armoire, toujours fermée, resta vide contre la muraille du cabinet du chef de la première division. Pendant la période d’investissement, l’état-major d’une brigade allemande occupa la propriété de Mettetal ; on en but le vin, ce qui est naturel ; mais nulle fouille ne fut opérée dans la cave, où les dossiers furent retrouvés intacts après la guerre. Ah ! si les Prussiens avaient découvert ces paperasses, que n’auraient-ils pas dit encore de cette pauvre moralité française et de la Babylone moderne ! Nul n’a jamais revu ces dossiers, que Mettetal a détruits.

Bien souvent, pendant que les Duval, les Raoul Rigault, les Théophile Ferré, les Edmond Levrault se gobergeaient à la préfecture de Police au temps de la Commune, j’ai mentalement remercié Mettetal de leur avoir enlevé cette proie de scandale et d’avoir ainsi sauvé l’honneur de bien des familles qui n’étaient point responsables des tares d’un de leurs membres. Je ne veux point que le lecteur puisse se méprendre sur l’importance des découvertes que l’on aurait faites :