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révolution de se produire à Paris. L’histoire a dit, sans que j’aie à le répéter, que cette double tâche ne fut pas accomplie.

Il ne faut pas en être étonné ; la situation peut se résumer d’un mot : tout le monde avait perdu la tête, dans la régence, à l’armée, au Corps législatif, dans la rue. Seuls ils ont vu clair et ils ont résolument marché vers le but que leur passion apercevait, ceux qui, dans la défaite de la France, n’ont trouvé qu’un levier pour faire basculer l’Empire et le mettre à bas. Ce levier, ils l’ont manœuvré avec énergie et avec ensemble. Se sont-ils du moins doutés qu’en agissant de la sorte ils triplaient l’intensité du désastre, favorisaient les victoires de l’ennemi, paralysaient le bon vouloir des puissances neutres et désorganisaient nos administrations ? Ils étaient si bien aveuglés par leur ambition et leur haine que l’on peut répondre : non.

Une révolution à Paris ? L’Impératrice s’y attendait et la redoutait ; elle se savait impopulaire ; elle avait tout à craindre d’un soulèvement de la masse parisienne, et c’est peut-être moins la souveraine que la femme qui eût été exposée à des outrages. C’était là une vieille idée, une idée abominable qui hantait la cervelle de certains irréconciliables ; à cet égard, je savais depuis longtemps à quoi m’en tenir, et j’ai déjà raconté ce qu’au mois de février 1857 le colonel Charras m’avait dit à La Haye. La pensée de l’Impératrice allait-elle jusque-là ? Je ne le crois pas, mais la vision des brutalités qui avaient souillé le cadavre de la princesse de Lamballe avait dû parfois traverser son esprit ; c’en était assez pour lui mettre de l’angoisse au cœur. Elle n’ignorait, du reste, rien de ce qui se tramait dans les mystérieux conciliabules où les ennemis de l’Empire rivalisaient de violence et ne reculaient devant aucune motion. Piétri s’était fait un devoir de lui dire la vérité tout entière, et cette vérité était dure à entendre. Avide du pouvoir, qu’elle aimait à exercer par cela même qu’elle en était incapable, elle voulut avoir près d’elle, à ses ordres, un défenseur dont on ne pouvait soupçonner la loyauté et, sans consulter l’Empereur, ni le Conseil des ministres, elle appela le maréchal Canrobert, qui, je l’ai dit, commandait le camp de Châlons, où son corps d’armée était réuni.

Le maréchal Canrobert accourut ; c’était le 10 août, dans la soirée ; il se présenta immédiatement aux Tuileries, selon les instructions contenues dans la dépêche qui lui avait été