Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/14

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adressée. L’Impératrice l’attendait : Palikao était auprès d’elle. Sans préambule, elle dit à Canrobert : « Je vous ai fait venir pour vous confier le commandement de Paris ; les soldats vous aiment ; je sais que l’on peut compter sur votre dévouement ; vos talents militaires sont connus ; je suis donc certaine que vous vous tirerez à votre honneur de la mission dont vous êtes digne plus que tout autre. » Le maréchal se souvint probablement de l’accueil injurieux que lui avaient fait les gardes mobiles de Paris ; il se demanda comment il pourrait utiliser des troupes pour qui l’indiscipline paraissait un besoin ; il était soldat, mais il n’était que soldat ; il se vit en lutte avec le pouvoir législatif, avec l’élément civil dont l’influence croissait d’heure en heure ; il pensa à son corps d’armée, dont la majeure partie venait d’être dirigée à marches forcées sur Metz ; par ses propres régiments, il était déjà, pour ainsi dire, en contact avec l’ennemi ; il eut quelque honte de ne pas conduire au combat les bataillons qu’il avait formés lui-même, et, tout en se déclarant prêt à obéir à l’Impératrice régente et au ministre de la Guerre, il dit — je répète ses propres paroles : « Madame, mon corps d’armée, à l’heure où je vous parle, va à Metz ; la bataille est peut-être pour demain. Si je restais ici, au moment où mes soldats vont se battre, vous auriez en moi un bâton vermoulu sur lequel vous ne pourriez vous appuyer. Laissez-moi faire mon métier de soldat. » L’Impératrice et Palikao comprirent les motifs qui inspiraient le refus du maréchal ; on n’insista plus ; il quitta Paris le soir même, et, au lieu de retourner à Châlons, il se dirigea sur Metz, tant il avait hâte de rejoindre ses troupes. L’Impératrice avait vu juste en choisissant Canrobert. Au lieu de cet homme simple et loyal, on lui envoya Trochu ; ce n’était pas la même chose, car les défauts d’esprit équivalent parfois à des défauts du cœur.

Entre l’avènement du ministère Palikao et l’arrivée du général Trochu à Paris, il se produisit divers incidents restés dans l’ombre et qu’il n’est pas inutile de raconter, car ils démontrent à quel degré de désordre les esprits étaient parvenus. On avait été si surpris de nos défaites qu’on les avait attribuées, ainsi que toujours, du reste, à des causes mystérieuses, à la trahison, à l’espionnage et non pas, comme il eût été sage de le faire, à la faiblesse numérique de nos troupes et à l’incapacité du commandement. On ne parlait que d’espions, on en voyait partout ; les marchands se dénon-