Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne serait pas amoindrie qu’ils ont supporté leur passion[1].

J’ai emprunté à un livre que j’ai écrit en 1877[2] la plupart des détails que je viens de donner sur le rôle joué par la garde nationale parisienne en présence des Allemands ; je n’ai rien à y retrancher, rien à y ajouter, car rien de ce que j’ai appris depuis lors n’a modifié mon impression. Dans ce même volume, je retrouve une opinion identique formulée, après la guerre, par Alphonse Daudet, dans le style vif et familier qui lui est propre. Je citerai cette page, qui est l’exacte peinture d’un des aspects de Paris à cette époque ; la note est tellement juste qu’elle peut faire foi devant l’impartialité de l’histoire : « Et dire — s’écrie-t-il dans les Contes du Lundi — que pour certaines gens ces cinq mois de tristesse énervante auront été un événement, une fête perpétuelle, depuis les baladeurs du faubourg, qui gagnent leurs quarante-cinq sous par jour à ne rien faire, jusqu’aux majors à sept galons : entrepreneurs de barricades en chambre, ambulanciers de Gamache, tout ruisselants de bon jus de viande, francs-tireurs fantaisistes et n’appelant plus les garçons de café qu’à coups de sifflet d’omnibus, commandants de la garde nationale logés avec leurs dames dans des appartements réquisitionnés, tous les exploiteurs, tous les accapareurs, les voleurs de chiens, les chasseurs de chats, les marchands de pieds de cheval, d’albumine, de gélatine, les éleveurs de pigeons, les propriétaires de vaches laitières, et ceux qui ont des billets chez l’huissier et ceux qui n’aiment pas à payer leur terme, pour tout ce monde-là,

  1. Dans sa déposition devant la commission d’enquête parlementaire sur le 18 mars, Jules Favre a dit : « Pendant le siège, les classes supérieures, élevées, intelligentes, se sont conduites admirablement ; je ne crois pas qu’il soit possible de rencontrer un tel exemple d’abnégation, de dévouement, de désintéressement… Je ne parle pas de la charité, ni de la facilité avec laquelle on a trouvé dans la bourse de ceux qui avaient de l’argent les secours nécessaires pour venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Quant à la classe ouvrière, il y a eu des exemples de très grande vertu… mais cette classe a, en fait, pris l’habitude d’être nourrie par l’autre, de vivre dans une fainéantise d’autant plus dangereuse qu’elle permettait de vivre sans rien faire et qu’elle leur donnait cette satisfaction puérile et malsaine des exercices militaires. Ces exercices auraient pu être utiles, mais, souvent, ils se bornaient à des promenades dans Paris, et nous avons vu par le petit nombre d’inscriptions de volontaires qu’il y avait très peu de dispositions à se battre. » (Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, tome II : Déposition des témoins, in-4o, Versailles, 1872, p. 42 sq.)
  2. Les Convulsions de Paris, tome I, chap. premier.