Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/165

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la fin du siège est une désolation peu patriotique. Paris ouvert, il va falloir rentrer dans le rang, travailler, regarder la vie en face, rendre les appartements, les galons — et c’est dur ! » Oui, c’est dur, et si dur en vérité que cela fut pour beaucoup dans la Commune.

On peut croire Alphonse Daudet, il était de la garde nationale et, comme tous les gens bien nés et de bon cœur, il y fit son devoir. Il était au Bourget, à Champigny, à Buzenval, partout où l’on se battit en vain. Dans la nomenclature des diverses fonctions dont s’affublèrent bien des drôles pour vivre à l’aise et ne rien faire, il en a oublié une qui n’est pas des moins baroques. Lorsque l’on eut établi la poste par pigeons, il se trouva des garçons ingénieux qui affirmèrent que le service des lettres serait compromis, si l’on ne détruisait les oiseaux de proie, ordinairement très friands de la famille des colombidés. Ils se chargèrent de ce genre de chasse qui leur permit d’aller tirasser des corbeaux et des passereaux hors des remparts. Je n’invente rien ; cette bouffonnerie fut réelle et je copie la carte de passe qui fut délivrée à l’un de ces farceurs :

« Valable du 1er au 31 janvier, n° 83. Défense de Paris. Le ministre des Travaux publics, membre du Comité de Défense, autorise M. A. Chauvelot, chargé de la chasse des oiseaux de proie, à circuler librement de l’intérieur de Paris aux forts. Il recommande M. Chauvelot à toute la bienveillance et au besoin à la protection des autorités civiles et militaires. Pour le ministre des Travaux publics, membre du Comité de la Défense nationale, par ordre : L. Vée. Signature du permissionnaire : A. Chauvelot. »

J’avoue que, si je n’avais eu la pièce olographe en main, je n’aurais jamais cru à une telle plaisanterie ; le personnage — et il n’était point le seul — qui joua ce rôle digne des drôleries d’une opérette peut rivaliser avec l’amiral suisse et le fabricant de casquettes pour guillotinés.

Il était imprudent de faire la guerre avec des éléments pareils, où seul l’esprit de cabotinage, si commun en France, pouvait trouver quelque satisfaction. On en avait d’autres, heureusement, sérieux, dévoués, prêts à tout sacrifier, ne reculant devant rien, ni devant la fatigue, ni devant les obstacles, ni devant le feu de l’ennemi. L’armée régulière, à laquelle le corps ramené intact des Ardennes par le général Vinoy servait de noyau, un bon nombre de bataillons des