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vers l’Empire, mais nul n’en sut rien, car il était condamné par son honneur même et par son sentiment du devoir à être défenseur de la République.

Il n’aimait pas sa pupille, mais il fut un tuteur d’une irréprochable droiture et il ne permit à personne de porter la main sur le dépôt qui lui avait été confié. Tout ce qu’un honnête homme peut endurer, sans faillir à sa conscience, il l’endura. Malgré tout ce que l’on a pu dire des voiles qui entouraient son esprit, il avait une vision générale des choses très nette ; il comprenait qu’il n’était pas de force à jouter contre un compère aussi madré que Gambetta ; mais il s’était juré à lui-même de ne pas se laisser mener aussi loin que l’on aurait voulu. Une forme républicaine, soit ; mais le radicalisme, non. De ceci il ne démordait pas. Il l’avait dit un jour, en son Conseil des ministres : « J’irai, s’il le faut, jusqu’à M. Jules Simon, mais pas au-delà. » Il resta donc en sentinelle, comme un bon soldat qu’il était, maugréant, mécontent de ce que l’on faisait, mais ne demandant pas à être relevé de sa faction, parce qu’il ne la trouvait pas encore intolérable pour sa dignité, incompatible avec ses principes.

Ce fut précisément Jules Simon, « ondoyant et divers », allant plus loin que lui-même, prêt à aller jusqu’aux extrémités, afin de conserver le pouvoir qu’il aimait avec passion, ce fut le doux et patelin Simon qui exaspéra le maréchal. Celui-ci écrivit à son ministre une lettre telle qu’on n’y pouvait répondre que par une démission. Ce fut une sorte de coup d’État parlementaire, celui que l’on a nommé le Seize-Mai (1877). Un ministère de combat, choisi parmi les membres les plus influents des opinions conservatrices, fut formé par le maréchal, ministère de coalition, où chacun travaillait pour une faction au détriment du parti tout entier, ministère sans existence assurée, qui allait périr devant l’Assemblée, ou faire condamner l’Assemblée devant le pays.

La naïveté du maréchal fut excessive, s’il crut avoir organisé un pouvoir viable, avec des éléments orléanistes, bonapartistes, légitimistes qui se contredisaient et peut-être même se contrecarraient en sous-main. Le résultat le plus clair du 16 Mai fut l’ajournement à terme indéfini des espérances réactionnaires et l’avènement moral de Gambetta. L’Assemblée fut dissoute ; on fit appel à la France, qui répondit, le 14 octobre, en donnant à l’opposition un ren-