Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/38

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les cadres auraient pu recevoir les soldats encore inexpérimentés, eût conservé sa liberté d’action ; en outre, un pouvoir régulier, reconnu par l’Europe entière, invoquant l’intervention courtoise des puissances neutres, aurait eu qualité pour traiter avec la Prusse. Mac-Mahon, manœuvrant devant Paris, évitait la catastrophe de Sedan, la captivité de l’Empereur, la révolution du 4 septembre, la chute de l’Empire et l’inutile prolongation de la guerre. En cette circonstance, ce fut encore l’opinion publique, corroborée et exploitée par de mesquines passions, qui devint la souveraine maîtresse à laquelle on obéit.

On doit rendre cette justice au général Trochu qu’il lutta énergiquement pour faire rapporter l’ordre expédié à Mac-Mahon, ce qui prouve du moins qu’à ce moment nulle ambition excessive — si jamais il en eut — n’était éveillée en lui. Il ne pensait alors qu’à la protection de Paris et à sa propre responsabilité. La partie n’était pas égale, car il était seul ou à peu près contre l’Impératrice, le ministre de la Guerre et la population parisienne, pour laquelle Bazaine était un héros d’élection. L’Empereur étant avec le maréchal Mac-Mahon, l’Impératrice ne pouvait supporter l’idée d’un retour qui lui eût enlevé la régence et l’eût réduite à un rôle de comparse, pour lequel la pauvre femme ne se croyait pas faite. Palikao, ancien officier de cavalerie, accoutumé aux chevauchées rapides de l’Algérie, aux coups de main en pays barbares, s’imagina sans doute que l’on déroberait sans peine à l’ennemi une marche de flanc des plus périlleuses et qu’il n’y avait qu’à se hâter « à mettre les morceaux doubles », comme il disait, pour surgir inopinément derrière les armées allemandes et les bousculer, afin de rouvrir à Bazaine la route qu’il avait sottement laissé fermer devant lui.

Une autre pensée moins avouable inspira peut-être à Palikao cette stratégie d’aventure. En qualité de ministre de la Guerre, il était, je l’ai dit, dans des termes très aigres avec le gouverneur de Paris, et il n’était probablement pas fâché de l’abandonner à ses propres forces. « Tire-toi de là comme tu pourras. » Ce n’est pas la première fois que notre histoire nous raconte que la jalousie entre généraux n’a pas été favorable à la victoire. Pendant le combat d’Auerstaedt, où Davout, avec 30 000 hommes, eut presque toute l’armée prussienne sur les bras, Bernadotte restait l’arme au pied, à portée de la lutte, refusant tout secours, et riait de l’embarras où se trou-