Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vait un de ses compagnons. On sait que le compagnon s’en tira à son honneur et que les résultats d’Auerstaedt furent plus considérables que ceux d’Iéna. En 1870, la fortune ne fut point si propice et Trochu ne ressembla guère à Davout.

L’Impératrice, Palikao, on aurait pu en avoir raison et leur imposer une volonté plus raisonnable que la leur ; mais l’opinion publique avait alors une telle puissance que l’on n’osa pas lui tenir tête et que l’on fit la sottise qu’elle exigeait. Or cette sottise lui avait été inspirée par le comité de la rue de la Sourdière, dont le mot d’ordre, glissé à toutes les oreilles, était qu’à tout prix et sans marchander les sacrifices il fallait secourir Bazaine, notre brave Bazaine. Toute la crainte du parti républicain, qui se comptait, était de voir une armée régulière occuper Paris et, par le seul fait de sa présence, protéger le gouvernement. Aussi, dès que l’on rencontrait dans les rues des soldats en régiments, en compagnies, en groupes ou isolés, il ne manquait point de braillards qui les escortaient en criant : « À la frontière ! » J’ai vu un peloton de cuirassiers assailli de la sorte mettre spontanément sabre au clair et se préparer à charger la foule ; l’officier s’y opposa et fit bien. On n’entendait alors que des gens, et parmi les plus sensés, qui disaient : « Il faut marcher au Nord, percer vers Bazaine et reconduire les Allemands chez eux, la baïonnette dans les reins. » Lorsqu’on leur répondait : « Il est plus sage de garder Paris, dont le sort emporte celui de la France », ils répondaient : « D’abord, les Prussiens n’oseront jamais attaquer Paris ; et puis, s’ils viennent, ne sommes-nous pas là ? » En effet, ils étaient là et ils y restèrent, si bien que Paris capitula, non point faute d’hommes, car on comptait près de 400 000 gardes nationaux, mais faute de combattants et faute de pain.

Malgré sa résistance, malgré son bon sens et son habitude des choses de la guerre qui l’éclairaient, Mac-Mahon obéit à contrecœur aux ordres qu’il recevait de son ministre. C’était un soldat soumis ; il accepta la presque certitude du désastre au-devant duquel il marchait. Le 19 août, il fit passer à Bazaine une lettre par laquelle il lui disait qu’il voudrait aller à son secours, mais qu’il craignait de découvrir Paris ; il espérait — il l’a dit depuis — que Bazaine serait assez bon militaire et assez désintéressé pour le dissuader de faire cette pointe excentrique qui, tout en le laissant en l’air, sans point d’appui ni sur ses flancs, ni sur ses derrières, ni en tête, ouvrait