Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/54

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l’espace de quatre heures, trois commandants en chef s’étaient succédé et chacun d’eux avait essayé de mettre à exécution un plan différent. Dans une manœuvre de champ de Mars, de si brusques modifications produiraient du désordre ; on peut imaginer ce qu’il en résulta sur un champ de bataille fouaillé par la mitraille, labouré par les obus et sur lequel on ne se maintenait qu’avec peine.

Wimpffen s’était emparé du commandement dans des circonstances qu’il faut faire connaître. Après la conduite inepte du général de Failly pendant la journée de Wœrth, on avait décidé de le remplacer à la tête du cinquième corps et, à cet effet, on avait appelé le général de Wimpffen, qui, alors, était en Algérie. Il était accouru et, en traversant Paris, il avait vu Palikao, le ministre de la Guerre, qui, séduit par sa faconde et ses belles phrases, lui avait remis des lettres de service en vertu desquelles il devait prendre le commandement en chef, au cas de mort ou de blessure grave du maréchal Mac-Mahon. Il avait donc en poche sa nomination éventuelle et s’était gardé d’en parler, lorsque arrivé à l’armée le 30 août dans la soirée, il avait été reçu par l’Empereur. Quand le maréchal Mac-Mahon remit aux mains du général Ducrot le sort de l’armée, Wimpffen ne réclama pas et resta muet ; mais, trois heures plus tard, remarquant que l’attaque des Bavarois sur Bazeilles — qui n’était qu’une fausse attaque destinée à masquer le mouvement tournant qu’exécutaient le Prince royal de Prusse et le Prince royal de Saxe — semblait repoussée par le général Lebrun, il prit bonne espérance, s’imagina que la journée pourrait être nôtre, voulut en saisir la gloire et communiqua au général Ducrot les lettres de service qui l’appelaient au commandement en chef. Ducrot, qui, par obéissance, avait accepté la charge — c’en était une — que lui avait confiée Mac-Mahon, s’inclina devant le général Wimpffen et se conforma aux instructions inattendues qu’on lui transmettait. Il expliqua à son successeur le plan qu’il suivait ; Wimpffen répondit : « C’est bien », et se hâta de donner des ordres contradictoires à ceux que les troupes avaient reçus.

Attaqués de toutes parts, décimés par une artillerie dont les pièces semblaient se multiplier, nous faisions bonne figure à l’infortune, et nous luttions avec une énergie sans espoir, qui arracha des cris d’admiration au roi Guillaume. Voyant la charge des chasseurs d’Afrique que menait le général