Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/56

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Vers trois heures, l’Empereur, qui était venu conférer avec le maréchal Mac-Mahon, voulut sortir de Sedan, pour aller se rendre compte par lui-même de la situation, qu’il s’obstinait peut-être à ne pas croire aussi désespérée qu’elle l’était. Cela lui fut impossible ; il était bloqué par ses troupes, qui s’y étaient réfugiées et qui formaient un obstacle infranchissable. Les commandants de corps purent, après des efforts inouïs, parvenir jusqu’à l’Empereur et lui dirent qu’après douze heures d’un combat inégal leurs soldats, exténués de fatigue, épuisés par la faim, — depuis près de deux jours nulle ration n’avait été distribuée, — découragés par cette série d’échecs, n’étaient plus qu’une proie pour l’ennemi, auquel ils ne pouvaient opposer de résistance sérieuse. L’Empereur envoya trois officiers d’ordonnance porter au général Wimpffen le conseil de demander un armistice. Les officiers ne revinrent pas, soit qu’ils n’aient pu réussir à traverser la foule qui encombrait la ville, soit qu’ils n’aient point découvert le général en chef, soit qu’ils soient morts en route. Napoléon III se souvint alors qu’il était souverain et qu’il était responsable vis-à-vis de la nation, vis-à-vis de lui-même, du sang inutilement versé. Il eut pitié de ces pauvres gens qui avaient fait leur devoir, plus que leur devoir, et qui tombaient sans défense, sans possibilité de défense, comme des épis abattus par la faux. Il fit arborer le drapeau blanc sur la citadelle. Peu de minutes après, le feu avait cessé.

Le roi de Prusse dépêcha immédiatement un officier en parlementaire qui, au nom de son souverain, réclama la reddition de la place. L’Empereur en référa au général de Wimpffen, qui répondit en envoyant sa démission de général en chef. C’en était trop ; avoir inopinément revendiqué la direction souveraine, parce que l’on croyait à la victoire ; avoir, sous le feu de l’ennemi et avec des troupes engagées à fond, bouleversé un plan adopté ; avoir refusé de faire occuper le seul point qui ouvrît encore une issue pour passer, quitte à se jeter en Belgique, comme plus tard Bourbaki devait pénétrer en Suisse ; avoir demandé deux heures, pas plus, pour pousser les Allemands dans la Meuse ; avoir, en accumulant faute sur faute, converti une défaite en catastrophe et, à la minute suprême, répudier toute responsabilité, c’était inadmissible.

L’Empereur refusa d’accepter la démission et fit bien. Un