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Il y avait, je crois, quelque raillerie dans le choix de la résidence assignée à Napoléon III. Le château de Wilhelmshœhe avait été le lieu de prédilection de Jérôme, roi éphémère de Westphalie. C’est là qu’il fit bien des « bamboches », avec son ami Pigault-Lebrun[1], expert aux inventions drolatiques, et avec son chambellan Camus, qu’il avait créé comte de Fürstenstein, et dont le fils est actuellement (1887) attaché à la maison de l’impératrice Augusta. Si l’Empereur s’aperçut de l’ironie, il n’en laissa rien paraître ; il se soumit, sans faire une observation. Le roi Guillaume ne s’était pas trompé en disant : « Il est résigné. »

Pendant que le Second Empire perdait sa dernière partie à Sedan, Paris, à la fois nerveux et abattu, prêtait l’oreille aux bruits du dehors, achetait des vivres en prévision d’un siège dont l’idée eût fait rire six semaines auparavant, et s’arrêtait, bouche bée, devant des affiches insignifiantes, dans l’espoir d’y découvrir quelque nouvelle où son angoisse pût s’apaiser. Depuis que la dépêche annonçant la défaite du corps de Failly à Beaumont était venue détruire la dernière illusion, on s’agitait dans le vide, sans concevoir un projet raisonnable. L’Impératrice, qui jusque-là avait fait bonne contenance, qui laissait deviner, quand elle ne le disait pas, qu’elle recevait d’excellentes nouvelles que son devoir de régente l’obligeait à garder secrètes, l’Impératrice était consternée ; toute son exaltation était tombée ; elle ne sentait autour d’elle que des défaillances et même des hostilités sourdes. Le 1er septembre, lorsque déjà la bataille de Sedan était engagée et désespérée, elle fit demander par Daru[2] à Thiers s’il consentirait à devenir président du Conseil des ministres, promettant de lui abandonner la haute main sur la direction des affaires. Le petit homme refusa, déclarant qu’il n’avait point d’aptitudes pour être le pilote du radeau de la Méduse.

Repoussée de ce côté, ne sachant à qui se fier, de qui réclamer un avis, la malheureuse femme, pour qui commençait l’expiation de tant de futilité, fit appeler le général Trochu et, dans un élan d’abnégation dont l’histoire lui

  1. Pigault-Lebrun (1753-1835), auteur de romans comiques et parfois licencieux. (N. d. É.)
  2. Daru (Napoléon, comte), 1807-1890. Député à la Constituante et à la Législative (1848-1851), puis au Corps législatif en 1869, ministre des Affaires étrangères du 2 janvier au 13 avril 1870, député à l’Assemblée nationale de 1871, sénateur en 1876. (N. d. É.)