Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/64

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saura gré, elle lui dit : « Il ne s’agit ni de l’Empereur, ni de l’Empire, ni de mon fils, ni de moi, il s’agit du pays qu’il faut sauver coûte que coûte. Si vous croyez que les princes d’Orléans soient de taille à prendre le commandement des troupes et à repousser l’invasion, n’hésitez pas à me le dire, et je vais signer le décret qui leur rouvrira les portes de la France. » Le général Trochu la calma ; selon son habitude, il parla longtemps, mêlant les considérations militaires aux considérations politiques ; il essaya de la rassurer, lui affirma qu’une bataille malheureuse était chose commune à la guerre ; qu’il en avait vu bien d’autres, que le maréchal Bugeaud, son maître, lui avait appris à se servir d’une défaite pour obtenir la victoire ; que Paris serait le tombeau de l’Allemagne ; quant aux mauvaises volontés intérieures, la force morale suffisait à les contenir ; il termina en disant qu’il répondait de tout. L’Impératrice l’avait écouté en silence ; lorsqu’il eut enfin arrêté son flux de paroles, elle le regarda fixement et lui dit : « Alors je puis compter sur vous ? » Sa réponse est devenue historique : « Madame, je suis soldat, catholique et breton ! » Ah ! le bon billet ! Cet homme était-il de bonne foi ? Je n’en doute pas ; il se croyait quand il parlait, et comme il parlait sans cesse, il se croyait toujours. Il se payait de mots, ce qui est une mauvaise monnaie.

L’inquiétude redoubla dans la journée du 2 septembre. Pas de nouvelles de Mac-Mahon, pas de nouvelles de Bazaine ; nulle clarté dans la nuit qui nous environnait. On eût dit que tout travail chômait, et comme il faut un but ou un prétexte à la curiosité parisienne, on allait tourner autour du Bois de Boulogne, dont les grilles étaient closes, afin de tâcher d’apercevoir les deux mille bœufs et les cent cinquante mille moutons que l’on y avait réunis. On se groupait autour des portes où les ponts-levis étaient déjà installés et on regardait « la banlieue » qui se réfugiait à Paris au détriment de la prolongation de la défense ; car une ville de guerre, résolue à garder bonne attitude, doit d’abord se débarrasser des bouches inutiles. On était entraîné par un patriotisme irréfléchi et mal entendu.

Beaucoup de personnes quittèrent Paris ; plus encore s’y précipitèrent et ne servirent à rien qu’à encombrer les rues, à prendre part aux distributions de vivres et à se rallier à ces bataillons de gardes nationaux qui, se souciant peu d’entrer