Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/262

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entendu parler de rien, et il écrivit sur-le-champ trois lettres, à Châlons, à Nancy et à Remiremont : voilà où cela en est. Il faut convenir que, si le malheur est arrivé, voilà une étrange destinée ; j’en suis consterné.

Les nouvelles ne contribuent pas à rendre plus gai, et quand l’âme est noircie, tous les objets s’en ressentent.

Voilà une copie d’un billet que l’on prétend que le roi de Prusse a écrit à M. de Belle-Isle. Si l’on en croit ce qui se répand, ce prince n’a fait aucune mention de ses alliés dans son traité, et on va jusqu’à dire que la Lorraine tiendra lieu à la reine de Hongrie de la Silésie qu’elle abandonne au roi de Prusse, au moyen qu’il payera aux Anglais vingt et un millions qu’elle a reçus d’eux. La cour, c’est-à-dire les plus zélés partisans de M. de Belle-Isle, l’ont abandonné[1]. Je ne saurais croire l’insolence de Duplessis, qui répand qu’il n’est pas surpris que le roi de Prusse ait fait son accommodement, parce qu’il a appris que le cardinal traitait avec la reine de Hongrie. Le contrôleur est toujours le même. Notre ami alla hier à Choisy : c’est ce qui fait que je ne le vis pas ; car je l’allai chercher. On dit que M. de Broglie a reçu tout pouvoir de prendre tel parti qu’il voudra : le seul est de revenir ; mais cela est devenu plus difficile encore, parce qu’on croit que les Autrichiens ont marché sur Égra, au moyen de quoi il faudrait aller remonter vers la Saxe. Figurez-vous ce que c’est que l’armée du roi, qui cherche à se cacher dans le fond de l’Allemagne, et quarante mille Français fugitifs devant des troupes ramassées de tous les pays. On a des lettres du 25 de M. d’Harcourt : il ne lui est rien arrivé et il a ordre de regagner Ingolstadt. Vous n’en aurez pas davantage pour aujourd’hui, car je suis noir et pesant. Bonjour ; j’attends de vos nouvelles avec une grande impatience.

J’allai hier chez madame d’Aumont[2], et je vis madame d’Évreux[3] à la fenêtre de l’antichambre, comme une tourterelle sur la branche, à qui l’on a ôté sa compagne. Le petit de Valençay, neveu de M. Amelot, est mort. Le vicomte de Rohan est à l’extrémité.

  1. Il s’agit des préliminaires de la paix de Bertin, signés le 11 juin, à Breslau ; la paix fut conclue le 28 juillet, à Berlin. (L.)
  2. Femme de Louis-Marie-Victor-Augustin, duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre du roi. (L.)
  3. Femme de Henri-Louis de la Tour-d’Auvergne, comte d’Évreux. (L.)