Page:Du halde description de la chine volume 1.djvu/209

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festins chinois sont ordinairement accompagnés, celui-ci fut interrompu par un divertissement commun aux Tartares, qui consiste à tirer au blanc. La loi qu’on observe dans cette sorte de jeu, est que celui de la compagnie qui touche le but, oblige les autres à vider une petite tasse de vin, en buvant à sa santé.

Ce jeu était alors fort en vogue depuis deux ans, que l’empereur Cang hi s’étant aperçu de la mollesse et de l’indolence des Tartares, dont nul n’est exempt d’apprendre le métier de la guerre, s’avisa de faire faire, lui-même en personne, cet exercice aux Grands et aux premiers mandarins de sa cour. Ce grand prince, à qui personne ne pouvait disputer l’honneur de tirer une flèche avec plus de force et de justesse, se plaisait à passer plusieurs heures du jour à cet exercice. Les mandarins obligés de faire preuve de leur adresse en présence de Sa Majesté dans un exercice qui leur était nouveau, divertissaient à leurs dépens l’empereur et toute la Cour. La confusion qu’ils en eurent, les porta aussitôt à faire apprendre à leurs enfants, même à ceux qui n’avaient encore que sept ans, l’art de bien manier l’arc et les flèches.

Dans le chemin que nous avons fait sur l’eau, depuis notre départ de Nan tchang fou, nous nous sommes trouvés de temps en temps entre des chaînes de montagnes qui bordent les deux rivages. Ces montagnes sont quelquefois si raides et si escarpées, qu’on a été obligé d’en tailler le pied en cent endroits, pour faire un chemin à ceux qui tirent les barques sur le rivage. Quoiqu’elles soient la plupart de terre sablonneuse, couvertes d’herbes, et que le penchant en soit rude, on voit par intervalle quelques morceaux de terre cultivée dans l’entre-deux, ou aux pieds de quelques-unes de ces montagnes, ce qui à peine pourrait suffire à sustenter le peu de gens qu’il peut y avoir dans les hameaux voisins. Nous trouvâmes la terre assez bien cultivée dans l’espace d’environ trois lieues, avant que d’arriver à Kan tcheou fou.

Le 15 nous ne fîmes que huit à neuf lieues de chemin : la campagne me parut unie et bien cultivée.

Le 16 nous fîmes douze lieues jusqu’à Nan kang hien. Ce jour-là nous trouvâmes la rivière tellement rétrécie, qu’elle avait à peine trente pas de largeur ; mais les eaux étaient extrêmement rapides. Le soir nous fîmes encore dix lieues jusqu’à Lin tchin.

Le 17 nous fîmes douze lieues jusqu’à Nan ngan fou. Ces deux jours-là nous naviguâmes continuellement entre des montagnes. La rivière était beaucoup plus étroite et plus rapide qu’auparavant, de sorte qu’il fallut augmenter le nombre de ceux qui tiraient nos barques.

J’allai le lendemain de grand matin dire la messe dans l’église qui était sous la conduire du révérend père Pinuela franciscain natif du Mexique : il me témoigna le dessein qu’il avait de faire avec moi le voyage de Canton, et je lui offris avec un grand plaisir une place dans la barque qu’on devait me fournir à Nan hiong fou, ville de la même province ; car il nous fallut faire par terre les douze lieues de chemin depuis Nan ngan jusqu’à cette ville.

Nous nous mîmes chacun dans une chaise, et après avoir fait deux lieues,