Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Sous la même dynastie Tsin, l’empereur Ming ti, peu après être monté sur le trône, voulut donner un important emploi à Yu leang, qui, sous le règne précédent, avait été avancé dans la guerre ; Yu leang, pour s’excuser, présenta le discours qui suit.


Prince, depuis dix ans et plus, je suis dans les emplois. Il est rare qu’on y avance si promptement et à si peu de frais que je l’ai fait : j’en suis redevable aux bontés du feu empereur, et j’en ai la reconnaissance que je dois. Mais je n’ignore pas aussi que les grâces doivent avoir quelque proportion avec le mérite, et qu’une faveur excessive en élevant trop un homme, l’expose aux plus grands revers : savoir s’arrêter où il faut, est une maxime de sagesse pour tout le monde ; elle me convient plus qu’à personne. Aussi suis-je très éloigné d’ambitionner de nouveaux honneurs, et je le suis encore plus de les vouloir obtenir au préjudice de ceux qui en sont plus dignes que moi. Je suis monté sous le feu empereur aux premiers degrés de la milice. J’en suis redevable bien moins à mon mérite, et à mes services, qu’aux bontés que lui inspirait pour moi une alliance des plus proches. Cependant comme il se produisait alors très peu de gens qui fussent de mise, cette disette a pu justifier l’honneur qu’il m’a fait. Aujourd’hui les choses sont sur un autre pied. Sous l’heureux règne de Votre Majesté nous voyons à la cour et dans les provinces un grand nombre de gens du premier mérite, tous également attachés à votre service. Me donner dans ces conjonctures l’emploi que Votre Majesté veut bien m’offrir, et réunir en ma personne ce qu’il y a de plus important dans la robe et dans les armes, souffrez que je le dise, c’est, ce semble, vous éloigner de cette souveraine équité, qui a déjà rendu si célèbres les commencements de votre règne. C’est du moins donner occasion à ce qu’on vous soupçonne de vous conduire par des inclinations particulières.

Étant frère de l’impératrice, je vous appartiens de près. Vous savez combien dans les siècles passés l’élévation de tels alliés a causé de troubles, et combien le souvenir de ces malheurs rend odieux à tout l’empire le choix qu’on fait d’eux, surtout pour des emplois qui leur donnent part au gouvernement. Profitez de ces connaissances. Quand j’aurais des talents plus grands que je n’ai ; quand vous les jugeriez vous pouvoir être très utiles, il serait toujours de la sagesse de vous en priver, plutôt que d’aller contre un préjugé si universel, et fondé sur tant de tristes événements. Vouloir absolument passer par dessus, ce serait nourrir les soupçons et les murmures dans le cœur de vos sujets, et vous exposer aux plus grands malheurs.