Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/164

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Monsieur Racine soutient dans la préface de Bajazet, dont la mort tragique étoit un évenement recent quand il le mit au théatre, que l’éloignement des lieux où un évenement est arrivé peut suppléer à la distance des tems, et que nous ne mettons presque point de difference entre ce qui est arrivé mille ans avant notre tems et ce qui est arrivé à mille lieuës de notre païs. Je ne suis point de son sentiment. On ne trouve personne qui ait vêcu mille ans avant lui, mais on rencontre tous les jours des gens qui ont vêcu dans ce païs éloigné de mille lieuës, et leurs recits nuisent à la veneration qu’on prétend nous donner pour ces hommes devenus des heros en passant la mer. D’ailleurs le commerce entre la France et Constantinople est si grand, que nous connoissons bien mieux les mœurs et les usages des turcs par les relations verbales de nos amis qui ont vêcu avec eux, que nous ne connoissons ceux des grecs et des romains sur le recit d’auteurs morts, et à qui l’on ne sçauroit demander des explications quand ils sont obscurs ou trop succincts. Un poëte tragique ne sçauroit donc violer la notion generale que le monde a sur les mœurs

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