Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/311

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traducteur doit parler, les romains n’avoient point de termes propres pour les signifier. Ils n’avoient point de mots propres pour dire un mortier, et l’angle saillant d’une contrescarpe, parce qu’ils n’avoient pas ces choses là. Le traducteur est donc réduit à se servir de periphrase, et à ne pouvoir rendre qu’en plusieurs mots ce que l’écrivain françois a pu dire par un seul mot. Mais cette prolixité n’est qu’une prolixité d’accident, comme seroit la prolixité d’un françois qui traduiroit le recit d’un repas donné par Lucullus, ou la description d’un combat de gladiateurs, et qui par consequent seroit obligé de parler de beaucoup de choses qui n’ont pas de nom en notre langue. Ainsi le latin est toujours plus court que le françois dès qu’on écrit sur des sujets pour lesquels les deux langues sont également avantagées de termes propres. Or rien ne sert plus à rendre une phrase énergique, que sa brieveté. Il en est des mots comme du metal qu’on emploïe pour monter un diamant. Moins on y en met plus la pierre fait un bel effet. Une image terminée en six mots frappe plus vivement et fait plûtôt son effet que celle qui n’est achevée qu’au bout de dix mots.