Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/54

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peindre la situation d’un homme qui souffre avec constance la perte d’un fils unique. Ils n’introduisent pas sur les théatres des personnages qui sçachent faire taire les passions devant la raison. Les poëtes n’ont pas tort sur ce point. Un stoïcien joüeroit un rôle bien ennuieux dans une tragedie. Les poëtes qui veulent nous émouvoir, c’est Platon qui réprend la parole, présentent des objets bien differens : ils introduisent dans leurs poëmes des hommes livrez à des desirs violens, des hommes en proïe à toutes les agitations des passions, ou qui lutent du moins contre leurs secousses. En effet les poëtes sçavent si bien que c’est l’agitation d’un acteur qui nous fait prendre plaisir à l’entendre parler, qu’ils font disparoître les personnages dès qu’il est décidé s’ils seront heureux ou malheureux, dès que leur destinée est fixée. Or, suivant le sentiment de Platon, l’habitude de se livrer aux passions, même à ces passions artificielles, que la poësie excite, affoiblit en nous l’empire de l’ame spirituelle et nous dispose à nous laisser aller aux mouvemens de nos appetits. C’est un dérangement de l’ordre que ce philosophe