Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/87

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connus à plusieurs de ses lecteurs que par ce que lui-même en raconte. Mais l’éneïde, l’ouvrage du poëte le plus accompli qui jamais ait écrit, a, pour ainsi dire, des moïens de reste de faire fortune. Quoique ce poëme ne nous touche plus que parce que nous sommes des hommes, il nous touche encore assez pour nous attacher : mais un poëte ne sçauroit promettre à ses ouvrages une fortune pareille à celle de l’éneïde, qui est celle de toucher sans cet interêt qui a un rapport particulier au lecteur, à moins d’une grande présomption, principalement s’il compose en françois. C’est ce que je tâcherai d’expliquer plus au long dans la suite de cet écrit. Ma seconde reflexion sera sur l’injustice des jugemens temeraires qu’on porte quelquefois en taxant de mensonge ce que disent les anciens du succès prodigieux de certains ouvrages, et cela parce qu’on ne fait pas attention à l’interêt particulier que prenoient à ces ouvrages ceux qui leur ont tant applaudi. Par exemple, ceux qui s’étonnent que Cesar ait été déconcerté en écoutant l’oraison de Ciceron pour Ligarius, et que le dictateur se soit oublié lui-même jusqu’à laisser tomber par un mouvement