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Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Tome 2,1733.djvu/511

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point porter ses vûës hors de son temps et hors de son païs. Les premiers admirateurs de Virgile furent ses compatriotes et ses contemporains. C’étoient des femmes, c’étoient des gens du monde moins lettrez, peut-être que ceux qui bâtissent à leur mode l’histoire de la réputation des grands poëtes, au lieu de la chercher dans les écrits qui en parlent. Quand l’éneïde parut, elle étoit plûtôt un livre de ruelle, s’il est encore permis d’user de cette expression, qu’un livre de college. La langue dans laquelle l’éneïde étoit écrite, étoit la langue vulgaire. Les femmes comme les hommes, les ignorans comme les sçavans la lurent, et ils en jugerent par l’impression qu’elle faisoit sur eux. Le nom de Virgile n’imposoit point alors, et son livre étoit exposé à tous les affronts qu’un livre nouveau peut essuïer. Enfin les contemporains de Virgile jugerent de l’éneïde comme nos peres ont jugé des satyres de Despreaux et des fables de La Fontaine dans la nouveauté de ces ouvrages. Ainsi ce fut l’impression que l’éneïde faisoit sur tout le monde, ce furent les larmes que les femmes verserent à sa lecture qui la firent approuver comme un poëme excellent.